LA RESTITUTION DES BIENS CULTURELS
26.11.18
Analyse de la décision prise par Emmanuel Macron de restituer des biens nationaux au Bénin.
Emmanuel Macron a décidé, après avoir reçu le rapport dont la rédaction avait été confiée à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, de restituer 26 œuvres d’art réclamées par les autorités béninoises.
Cette décision sera sans doute abondamment commentée, approuvée par certains, vivement critiquée par d’autres.
Il semble aujourd’hui que tout converge vers l’exigence de la restitution, et les motifs encore invoqués pour s’y opposer ne résistent pas longtemps à l’examen.
Il est vrai que la règle de droit est aujourd’hui ainsi conçue que toute restitution semblait, jusqu’à la décision présidentielle, difficile, voire impossible.
On se souviendra en effet de la délibération, adoptée par le conseil municipal de la Ville de Rouen, qui avait décidé de restituer à la Nouvelle Zélande -qui en avait fait la demande- les têtes maories détenues dans les collections de son musée d’histoire naturelle. Il s’agissait évidemment d’œuvres d’une nature particulière puisque constituant des restes humains. Cette décision, toutefois, avait été annulée par les juridictions administratives, à la requête du ministère de la culture, motif pris de l’inaliénabilité des biens dépendant des collections nationales. La restitution n’avait finalement été possible que grâce à l’adoption d’une loi ad’hoc.
C’est notamment sur la base de ce principe d’inaliénabilité, prévu par le code du patrimoine, que Jean- Marc Ayrault, alors ministre des affaires étrangères, avait répondu aux autorités béninoises que les restitutions sollicitées par elles étaient absolument impossibles. La loi est ainsi rédigée, c’est un fait, mais que faut-il penser d’une loi qui permet au possesseur de mauvaise foi de conserver des biens mal acquis ? N’est-il pas choquant de répondre au légitime propriétaire de ces œuvres « désolé, nous voulons bien considérer que les biens litigieux vous ont été dérobés, mais notre droit prévoit le principe d’inaliénabilité qui nous interdit de vous les restituer ». La règle de droit est flexible, évolutive, et doit répondre aux exigences de son temps, lorsque ces exigences sont légitimes.
Le principe d’imprescriptibilité a, également, été invoqué afin de s’opposer à tout forme de restitution. Il est insociablement lié au principe d’inaliénabilité. S’il semble légitime qu’un bien dépendant des collections nationales bénéficie de ce statut, on ne saurait aujourd’hui faire abstraction du droit des peuples à bénéficier d’un droit imprescriptible à leur propre culture, tel le peuple béninois.
Les œuvres revendiquées par le Bénin entretiennent avec leur pays d’origine un lien d’une grande intimité. Ce lien est culturel, artistique, historique, sociologique. Sa préservation -ou, plutôt, sa restauration- est essentielle à l’épanouissement de la société béninoise, tant il est prouvé que l’accès d’un peuple à sa propre culture est essentiel. Il est choquant de penser que les petits enfants français, anglais ou italiens peuvent accéder à la culture artistique de leur propre pays, alors que ce droit est aujourd’hui refusé aux petits béninois. Faut il rappeler qu’il y a beaucoup plus d’œuvres d’art provenant du Bénin dans les musées européens qu’il n’y en a dans leur pays d’origine.
Certaines des œuvres dérobées, et exposées dans nos musées ont un intérêt cultuel. Les béninois expliquent aujourd’hui que le respect qu’ils entendent manifester à ces œuvres, tel les trônes des rois d’Abomey, leur est interdit. Ils n’ont en effet pas l’intention, et on les comprend aisément, de se prosterner devant ces œuvres au beau milieu du musée des Arts Premiers à Paris ou du British Museum à Londres.
Nombreux sont les artistes européens qui ont été influencés par l’art africain, et il est aujourd’hui légitime que les jeunes artistes africains puissent avoir accès, aisément, aux œuvres de leurs aînés.
Le caractère universel d’une œuvre d’art ne saurait constituer un obstacle à la restitution, voire un motif pouvant justifier leur maintien dans les collections européennes. Il ne s’agit pas de remettre en cause ce caractère, mais il doit s’apprécier au regard des conditions d’accès à ces œuvres. De nombreux tableaux impressionnistes sont exposés dans les musées étrangers, mais il en reste suffisamment dans les musées nationaux pour permettre aux petits français d’apprécier ce mouvement pictural. Les collections françaises abritent de très nombreuses œuvres italiennes, mais il en reste, fort heureusement, des quantités considérables en Italie. Et si nombreux sont les italiens qui auront la possibilité de visiter, un jour dans leur vie, les musées parisiens et d’ admirer la Joconde ou les Noces de Cana, rares sont encore les béninois qui pourront s’offrir un tel voyage.
Certains font encore valoir que les pays africains n’ont pas les moyens de la conservation des œuvres revendiquées, et qu’il est à craindre qu’elles ne soient endommagées ou détournées. Cet argument manifeste une confusion entre les modalités et les conditions de la restitution. S’il est légitime de se soucier des conditions de conservation des œuvres dans leur pays d’origine, ces exigences ne constituent qu’une modalité de leur restitution. Les Etats qui ont exposé les biens dont il est question doivent aujourd’hui aider les pays requérants à élaborer une politique muséale de qualité mais ne sauraient tirer prétexte d’un retard en la matière pour s’opposer à la restitution.
Enfin, et sans qu’il soit à mon sens nécessaire d’insister, on rejettera évidemment l’argument selon lequel la plus grande partie des œuvres n’existeraient plus aujourd’hui, si elles n’avaient pas été conservées dans des collections européennes. Sans doute est-ce le cas, mais puisque nous les avons conservées, nous les devons aujourd’hui à leur légitime propriétaire, sans se demander ce qu’il en serait advenu si elles n’avaient pas été dérobées par les armées coloniales ou des collectionneurs parfois peu scrupuleux.